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images qui bougent
12 juillet 2010

et non pas..., 'Haunted' de Chuck Palahniuk

Sans_titreon se demande souvent, surtout à notre époque qui intrônise les artistes en génies si rapidement, si quelqu'un qui publie un livre au bon moment est malgré tout ...'un écrivain' ? ' l'homme dans un seul livre ' comme on dit dans ces cas-là... Ainsi le problème de Chuck Palahniuk c'est qu'il a écrit ' Fight Club' dont David Fincher le film formidable que l'on connaît, issu d'un livre qui ne l'était pas moins : unique, incontournable, et surtout total. Un ton, une voix décomplexée, voire cinglante, abordant frontalement une thématique présente intangiblement dans l'air depuis quelques années et qu'on appelle 'mal du siècle' comme on dit dans 'Envoyé spécial'.

Ce qui renvoie à ma première question ' Chuck Palahniuk a-t-il tout dit ? ' et nous renvoie nous au statut de l'artiste tel qu'on l'a toujours abordé, la parabole des deux écoles, des deux optiques ( que je me permets de citer ici d'après l'excellent ' The mystery play' de Grant Morrison et Jon.J.Muth ) à savoir que pour certains l'artiste serait une sorte de sculpteur qui impose à la matière, au chaos, une forme. Et donc ce serait l'idée qui pré-existerait en Art. D'autres au contraire pensent que l'artiste n'est qu'un émissaire, l'interprète de la Nature dont il est chargé de faire émerger la forme cachée. Est-ce que Palahniuk aurait été un jour l'emissaire avisé de l'esprit du temps et maintenant, maintenant ne ferait-il pas mieux de se taire ?  Avec ' Berceuse' par exemple, quelque chose laissait vaguement supposer que l'auteur aurait pris goût aux adaptations cinématographiques, aussi trouve-t-on dans celui-ci des choses qui surprennent un peu moins,de la part de notre auteur, la description clinique par exemple, qui était presque un personnage à part entière dans ' Fight Club', totalement justifié du fait du climat complètement schizo, alors qu'ici cela aurait presque pu être...n'importe quoi d'autre; ainsi que la reprise lointaine de la thématique de reconstruction destructive de l'identité - ce qui suivait révèle des éléments-clés de l'intrigue....

Et c'est presque dommage parce que pour un peu nous dirions presque que Chuck Palahniuk gagnerait à être connu plutôt pour ce livre-ci je vous le dis comme je le pense mais peut-être me trompe-je car d'autres préfèrent y voir une habile pirouette d'un auteur qui paraît-il se recycle lui-même. Ici l'Histoire nous a déjà répondu, car l'auteur, depuis ce livre,sort quasiment un roman par an, tous plus arrachés les uns que les autres ( 'Peste' récemment disponible en Folio poche en est une remarquable illustration, et on attend encore la traduction de 'Snuff ' qui se déroule dans la file d'attente du gang-bang du siècle ) et desquels ' Haunted' (  titre original ) apparaît comme le terreau matriciel sous bien des aspects.

L' histoire ( non...attendons encore un instant ) apparaît comme n'importe lequel des Cluedos d' Agatha Christie, mais raconté par le Martin Amis de la période  ' Poupées crevées', la comparaison s'arrêtant là : sous le prétexte d'une retraite pour écrivains de trois mois -nourris, logés- nos différents protagonistes se retrouvent rapidement...peinards dans un bunker super bien décoré à manger des mégas plats cuisinés comme des sagouins et à rien glander. Sur ce louable projet de retraite créative plâne en effet l'aura de la villa Diodati, ou Percy et Mary Shelley furent contraints de résider chez leur hôte Lord Byron plus longtemps que prévu du fait des conditions météorologiques et d'où l'on sait que cela aboutit sur la création de deux des mythes fondateurs du registre fantastique ( : celui du monstre de Frankenstein et celui du mythe du vampire, anticipant le 'Dracula' de Bram Stoker  et que Ken Russell mis en scène dans son sublime film ' Gothic', avec Gabriel Byrne et Julian Sands  ) prétexte pour Palahniuk a une réflexion absolument déjantée et irresistible - ne serait-ce que pour le décorum - sur l'artiste maudit ' pas de création sans souffrance' ainsi que sur le processus même de cette création, illustration on ne peut plus littérale de la célèbre phrase de Goya ' Le sommeil de la raison ( ici son amputation plutôt ) engendre des monstres '.

Même si la structure du récit apparaît très vite comme répétitive, elle a le mérite d'évacuer d'une part toute forme possible de pathos - on se retrouve davantage à hésiter entre rire et gerber - en effet chaque chapitre est suivi d'une nouvelle écrite par l'un des protagonistes, précédée elle-même d'un rituel de présentation de l'auteur, à la fois mi-théâtral, mi-poétique,  éclairent peu à peu la thématique du roman ( chacune étant par ailleurs de véritables petits bijoux d'orfèvrerie  et peut-être comme je me le suis laissé croire, la matrice des romans qui ont suivis ) jusqu'au final ou l'auteur révèle son jeu et cloue au mur littéralement l' inommable, l'abject, ce qu'il y a de viscéralement irrécupérable dans l'être humain, et paradoxalement ce qui le rend inaliénable...et c'est ce constat qui rend le tout d'autant plus insupportable,que Palahniuk jette dans la balance, invitant par là historiens et sociologues à chercher de nouveaux discours. C'est pourquoi on lui pardonne quelques coutures apparentes ou certains chapitres apparemment posés là comme 'remplissages'...

Ainsi 'Haunted' ne m'a pas laissé le souffle coupé comme le laissait supposer la sublime décision éditoriale qui a fait modifier son titre pour l'édition française, mais plutôt et proprement la mâchoire complètement déglinguée, encore rattachée au visage on ne sait pas trop comment, avec tout le reste qui se balade et qui s'entrechoque -et c'est bien là le seul mal que je te souhaite à toi aussi ami lecteur- et qui me fait ( oser ) dire que c'est un grand livre...

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